lundi 5 mars 2012

"Chansons populaires des XVe et XVIe siècles du chateau de La Carneille

Les anciens seigneurs se tenaient le soir devant la porte de leur château, c'est-à-dire sur le pont et recevaient là les hommages de leurs vassaux.

Vincent Dumestre, Claire Lefilliâtre, Le poème harmonique.
Leur famille les entourait.


L'ancien chateau de la Carneille était citué au milieu du bourg et il était entouré de douves...

La fille au roi Louys


Le roi Louis est sur son pont,*
Tenant sa fille en son giron;
Elle se voudrait bien marier
Au beau Déon, franc chevalier.


2.
« Ma fille, n'aimez jamais Déon,
Car c'est un chevalier félon;
C'est le plus pauvre chevalier
Qui n'a pas vaillant six deniers.

3.
— J'aime Déon, je l'aimerais,
J'aime Déon pour sa beauté.
Plus que ma mère et mes parents,
Et vous, mon père, qui m'aimez tant.
4.
— Ma fille, il faut changer d'amour,
Ou vous entrerez dans la tour.
— J'aime mieux rester dans la tour,
Mon père, que de changer d'amour.
 5.
— Et vite, où sont mes estafiers,
Mes geôliers, mes guichetiers,
Qu'on mette ma fille en la tour :
Elle n'y verra jamais le jour. »



 6.
Elle y fut bien sept ans passés
Sans que personne la put trouver.
Au bout de la septième année,
Son père vint la visiter :

7.
« Bonjour, ma fille, comment vous va ?
— Hélas, mon père, il va bien mal :
J'ai un côté mangé des vers,
Et les deux pieds pourris ès fers.
8.
Mon père, avez-vous de l'argent,
Cinq à six sous tant seulement ?
C'est pour donner au geôlier,
Qu'il me desserre un peu les pieds.
9.
— Oui-da, ma fille, nous en avons,
Et des mille et des millions:
Nous en avons à vous donner,
Si vos amours voulez changer.
10.
— Avant que changer mes amours,
J'aime mieux mourir dans la tour.
— Eh bien ma fille, vous y mourrez,
De guérison point vous n'aurez. »
11.
Le beau Déon, passant par là,
Un mot de lettre lui jeta:
Il y avait dessus écrit :
« Belle, ne le mettez en oubli;
12.
Faites-vous morte ensevelir,
Que l'on vous porte à Saint-Denis;
En terre, laissez-vous porter,
Point enterrer ne vous lairrai. »
13.
La belle n'y a pas manqué,
Dans le moment a trépassé;
Elle s'est laissée ensevelir,
On l'a portée à Saint-Denis.
14.
Le roi va derrière en pleurant,
Les prêtres vont devant en chantant :
Quatres-vingts prêtres, trente abbés,
Autant d'évêques couronnés.

15.
Le beau Déon passant par là :
« Arrêtez, prêtres, halte-là !
C'est m'amie que vous emportez,
Ah ! laissez-moi la regarder ! »


16.
Il tira son couteau d'or fin
Et décousit le drap de lin :
En l'embrassant, fit un soupir,
La belle lui fit un souris :


17.
« Ah ! voyez quelle trahison
De ma fille et du beau Déon !
Il les faut pourtant marier,
Et qu'il n'en soit jamais parlé.

le parc


 18.
Sonnez, trompettes et violons,
Ma fille aura le beau Déon.
Fillette qu'a envie d'aimer,
Père ne l'en peut empêcher ! »
19.
Quatre ou cinq de ces jeunes abbés
Se mirent à dire, tout haut riant :
« Nous sommes venus pour l'enterrer,
Et nous allons la marier ! »

Chanson citée par Gérard de Nerval dans son étude sur les Vieilles Ballades françaises.